Monsieur le recteur,
Durant les cinq années de la présidence Hollande, le travail de réforme de l’Education nationale a été intense. Plus que durant les 15 années précédentes. Des réformes importantes ont vu le jour, même si parfois des désaccords profonds ont pu exister. Elles ont donné lieu en général à des avancées, sur la formation des enseignants (ESPE), sur les rythmes scolaires, sur le collège, sur la carrière (PPCR), sur la rémunération des contractuels enseignants, sur la reconnaissance des fonctions de certains personnels (MLDS ou CFC). Toutes ces réformes ont été marquées par un travail lui aussi intense avec les organisations syndicales ou les associations professionnelles, les « corps intermédiaires » dont on parle souvent. La CFDT le réclamait et y a pleinement participé. Même si encore une fois des conflits ont pu exister, si des options ont été tranchées parfois à notre désespoir, le résultat en a été des textes qui constituent un réel progrès comparé à la situation antérieure.
Vous avez défendu ces avancées monsieur le recteur, en tant que représentant du gouvernement et peut-être aussi parce qu’elles correspondaient à vos convictions.
Depuis l’arrivée du nouveau ministre, nous constatons un retour en arrière, sur deux plans : les réformes elles-mêmes et le dialogue social. Il y a d’abord l’abandon dans la précipitation des réformes qui étaient contestées, sur les rythmes et sur le collège. Pour tenter d’acheter la paix sociale sans doute.
De nouvelles réformes plus profondes sont en cours. Et maintenant sans travail réel de concertation avec les organisations syndicales. On revient aux pratiques des gouvernements avant 2012 : des décisions prises dans les cabinets ministériels, puis une apparence de discussions avec les OS. Officiellement on applique le nouveau mantra : le pouvoir doit s’exercer, autoritairement s’il le faut, y-compris donc contre la volonté des citoyens. Car il est d’une essence autre que la simple souveraineté populaire, il est dit « jupitérien », au-dessus des intérêts supposés particuliers des citoyens. Un terme assez paradoxal d’ailleurs, quand on est habitué à la lecture de l’Iliade, car Zeus/Jupiter y est un souverain qui a bien du mal à se faire respecter des autres dieux de l’Olympe ! Passons.
La nouvelle procédure de réforme se dessine maintenant clairement sur plusieurs dossiers.
Ainsi sur la fusion des deux rectorats de Caen et de Rouen : officiellement il ne passe rien ou pas grand chose pendant plusieurs mois, de septembre à décembre ; on rassure les OS et les personnels, puis tout à coup la décision est prise, d’évidence, et il est temps de passer à la mise en place. La parole officielle n’a plus de valeur.
Sur l’orientation, c’est la même chose : des discussions gouvernementales en coulisse pendant plusieurs semaines avec le MEDEF et les régions. On tranche : l’orientation ira aux régions comme os à ronger pour la perte de la gestion de l’apprentissage. Puis on l’annonce tranquillement comme une évidence aux représentants du personnel. Les conseillers d’orientation psychologues sont devenus psychologues de l’Education nationale : on adapte les fonctions à l’étiquette. Et si officiellement les CIO et les DRONISEP ne sont pas menacés, on se doute que leur fermeture sera d’évidence dans quelques mois.
Le ministre de l’Education nationale n’a eu d’ailleurs que peu de poids dans ce dossier : il n’a rien réussi à sauver dans l’affaire, ni protéger la formation professionnelle publique (LP et CFA publics), ni garder l’orientation. Tout le monde n’est pas jupitérien !
Depuis longtemps, la CFDT attachée à la discussion et à la négociation. C’est dans son ADN. Le gouvernement n’en veut pas. Il estime qu’il sait faire tout seul, qu’il a tout prévu, qu’il n’a pas besoin de prendre conseil, juste faire semblant d’écouter pour respecter les formes. Le bricolage dans la mise en place de de la classe exceptionnelle et dans l’intégration des psychologues scolaires au nouveau corps des PsyEN montre pourtant le contraire. Comme le retard inacceptable de la publication des décrets qui concernent la MLDS.
Si la victoire dans les urnes donne la légitimité pour trancher, il ne s’agit pas d’une onction divine qui confèrerait l’omniscience. Réduire les OS à la culture de la grève, c’est-à-dire à des forces conservatrices, est une erreur. Et c’est dangereux. Comme le dit un vieil adage, il n’y a pas loin du Capitole à la roche Tarpéienne !