Comme déjà évoqué, les choses bougent au jour le jour. Vendredi, le gouvernement a annoncé un recul sur l’âge pivot. La CFDT prend acte avec satisfaction de cette première avancée. Si cela permet de relancer la concertation sur des bases plus saines, l’ouverture reste toutefois limitée. Nous sommes en effet loin d’avoir un projet global satisfaisant, et donc la fin des discussions n’est pas proche. Pas plus d’ailleurs que la crise sociale n’est terminée, que ce soit globalement, dans l’ensemble du monde du travail, ou plus particulièrement dans l’Education nationale, mise en avant depuis le 5 décembre.
Toutes les organisations syndicales ne sont cependant pas sur la même position que la CFDT. Et jusqu’à maintenant, elles ont largement pu développer leur argumentation. C’est totalement légitime car il faut que le débat continue sur ce sujet à la fois important et complexe. Maintenant que l’avant-projet de loi est public, que le futur système est plus précisément défini, il est possible de ne plus simplement être dans le domaine de l’inquiétude et du procès d’intention, mais au contraire de s’appuyer sur l’analyse. Il faut sortir d’un débat simpliste qui opposerait complètement deux systèmes, l’un (soudainement) chargé de toutes les vertus, l’autre accusé de tous les vices. Il faut avancer maintenant et négocier les conditions les plus favorables possibles pour les personnels (et cela ne se limite pas aux augmentations de salaires).
Tout le monde, sauf une partie du gouvernement, était contre l’âge pivot. Si ce système permet indéniablement de faire des économies, c’est d’une façon injuste, car il repousse de fait l’âge de la retraite de 2 ans. Cela ne veut pas dire qu’il faut crier victoire, car le gouvernement continue à vouloir trouver un équilibre financier d’ici 2027. Des négociations vont commencer et devront se terminer en avril.
Système par point ou système par durée de cotisation ?
Le système actuel fondé sur une durée de cotisation comme le nouveau système par points sont des systèmes par répartition. Ce sont les cotisations des actifs qui financent les pensions des retraités. Ce ne sont donc ni l’un ni l’autre des systèmes par capitalisation, où chacun met de côté de l’argent pour sa future retraite.
La différence entre les deux systèmes par durée de cotisation et par points se trouve dans le mode de calcul de la pension. Actuellement, cela dépend de la durée de cotisation (le nombre de trimestres) et d’un salaire de référence (les derniers 6 mois dans la fonction publique, les 25 meilleures années dans le privé). Si on n’a pas le nombre de trimestres requis, il existe un système de décote qui peut baisser les pensions jusqu’à 25%. Une fois arrivé à la retraite, la pension est fixée et ne bouge plus (sauf augmentation du coût de la vie). Si des paramètres changent (comme la durée de cotisation), deux personnes ayant la même carrière peuvent arriver à la retraite avec deux pensions très différentes, et ces différences restent ensuite durant toute la retraite.
Le système par point est plus simple : les cotisations tout au long de la vie amènent des points. Arrivé à la retraite, le nombre de points permet de calculer une pension. La durée de cotisation n’est plus un élément déterminant : évidemment, plus on cotise longtemps, plus on a de points, mais il n’y a plus de décote (sauf introduction d’un âge pivot). La valeur du point peut varier dans le temps. Le projet de loi prévoit cependant qu’il ne pourra pas baisser et qu’il sera indexé sur les salaires des actifs. Ainsi, deux carrières identiques à 10 ans d’intervalle donneront les mêmes droits à pension.
Autre changement notable prévu par le projet gouvernemental : on passerait de plusieurs systèmes de retraite, chacun avec ses particularités, à un système dit « universel » où tout le monde aurait le même mode de calcul. Le but est d’introduire une équité de traitement. C’est l’histoire du système de retraites actuel qui a amené ces nombreuses différences. Certaines se justifient encore (on peut l’imaginer encore pour les militaires ou les policiers), d’autres sans doute moins. Ce système « universel » est cependant déjà moins universel que prévu, car plusieurs catégories ont obtenu un système qui reste à part.
Quels sont les débats autour du nouveau système par point ?
Les arguments fusent depuis quelques mois contre le système par point. Certains sont réels, d’autres reposent sur le procès d’intention. Souvent, les reproches faits au système par point sont tout aussi valables (voire plus réels) avec le système actuel par durée de cotisation. Enfin, certains sont liés à des choix sociétaux, qui seront de toute façon à faire démocratiquement, que ce soit avec le système actuel comme avec un système par points.
La CFDT vient juste de publier une série de réponses à des questions généralement posées. Le SGEN de Créteil a publié sur son site des commentaires sur un certain nombre de critiques (attention cependant, l’article n’est pas à jour des derniers développement, certains infos sont parfois dépassées).
On peut cependant résumer quelques points de débat.
La part de la valeur du PIB consacrée aux pensions, limitée à 14%, fera baisser automatiquement ces pensions si le nombre de retraités augmente.
Il est d’abord à noter que rien dans le projet de loi n’indique une limite de ce type (voir ici le projet et ici l’exposé des motifs). Au contraire, l’article 9 indique que la part du PIB consacré aux pensions ne pourra pas baisser, mais rien n’oblige à ne pas l’augmenter.
Il faut cependant être clair. Les pensions sont financées par les actifs. On peut décider d’augmenter leur part dans le PIB, mais cela se fera aux dépens d’autres possibilités de choix (l’emploi, l’école, la transition écologique, la dépendance ou autre). Il s’agit ici d’un choix de société, qui devra donc pouvoir être tranché démocratiquement par les générations futures. Et ce, quel que soit le système : par points ou par durée de cotisation.
La valeur du point sera décidée par le gouvernement
C’était effectivement le projet du rapport Delevoye. Le premier ministre avait déjà indiqué qu’au contraire, ce seraient les partenaires sociaux (comme aujourd’hui), qui piloteraient le système. Tout danger est-il écarté ? Non, car le risque est toujours (aujourd’hui comme demain) que le gouvernement impose des conditions draconiennes. Où bien qu’il reprenne la main en cas de non accord entre organisations patronales et syndicats de salariés : c’est déjà ce qu’il se passe actuellement. Là encore, quel que soit le système, s’il est piloté par les partenaires sociaux, il y a nécessité in fine d’un accord ; sinon, le gouvernement (et le Parlement, car il s’agit d’une loi de finances) doivent prendre leurs responsabilités.
On peut pas prévoir quel sera le montant de sa pension, qui pourra baisser.
C’est surtout le système actuel qui ne permet pas de prévoir sa pension ! Qui aujourd’hui est capable de dire combien il aura à sa retraite ? En particulier quand il dépend de plusieurs régimes différents ? En plus, depuis 11 ans, nous avons vécu 4 réformes paramétriques qui en général allongent la durée de cotisation nécessaire. Dans le nouveau système, la valeur d’achat du point et la valeur du point seront fixées chaque année. Tout agent pourra donc calculer le montant virtuel de sa retraite acquise chaque année. La loi dit clairement que la valeur du point sera indexée sur le revenu moyen par tête et ne pourra pas baisser. Le pilotage s’effectuera par palier de 5 ans en fonction des prévisions démographiques et de la croissance. Le pilotage sera donc plus transparent qu’aujourd’hui : dans le débat démocratique qui aura lieu, chacun pourra facilement calculer ce qu’un changement pourra avoir comme conséquence pour lui.
La retraite minimum à 1000 euros
Passer la retraite minimum à 1000 euros n’est pas un gros progrès. Le bénéfice par rapport à la situation actuelles est mince (quelques dizaines d’euros). On aurait pu espérer plus. Il n’y a cependant pas de dégradation. D’autre part, il s’agit là encore d’un choix sociétal, indépendant du système de retraite : qu’il soit par durée de cotisation ou par points, c’est un seuil minimum fixé par la loi ; et qui peut donc être augmenté par les députés.
Les femmes seront-elles mieux traitées ?
Les avis sont divergents. Certaines analyses disent que oui, d’autres que non. Il est cependant intéressant de voir l’origine du problème, car clairement, aujourd’hui, dans le système actuel, les femmes touchent des pensions nettement inférieures aux hommes (37% d’écart !). Cette situation est due à de nombreux facteurs (carrières hachées, salaires plus faibles, arrêts plus nombreux à cause des enfants …). Et il est difficile de le corriger dans le système actuel fait de multiples régimes différents. Avoir un système unifié (ou quasi) permet d’avoir des leviers plus clairs et plus simples. Il reste sans doute à les actionner, dès maintenant si possible, mais il va falloir éclaircir les effets réels du nouveau système : les carrières professionnelles des femmes ont changé depuis plusieurs décennies (nos grand-mères accédaient peu au travail salarié, nos mères plus mais souvent dans des emplois vus comme un complément au salaire de leur mari, aujourd’hui dans un couple tout le monde travaille, mais les salaires des femmes restent plus faibles), et elles vont continuer à le faire (dans le bon sens on peut l’espérer !), et cela va impacter les raisons qui expliquent une pension plus faible. S’il faut compenser les arrêts pour élever ses enfants par exemple, ce sera plus facile dans un système unifié que dans le système actuel.
Et les pensions de réversion ?
La question est liée au point précédent, car les femmes vivent en général plus longtemps que leurs conjoints. Selon l’avant-projet de loi, la pension de réversion sera attribuée à partir de 55 ans (comme c’est le cas actuellement). À noter qu’elle garantit au conjoint survivant le maintien de 70% des ressources du couple. Le nouveau mode de calcul sera appliqué aux conjoints survivants d’assurés concernés par le futur système universel, soit seulement à partir de 2037. Il est vrai qu’à un moment, le gouvernement avait prévu de passer de 55 à 62 ans, mais il a reculé sur ce point.
La question du maintien des droits en cas de divorce n’a quant à elle pas été totalement tranchée. Il y aura deux cas de figure selon la date du divorce. 1) S’il est prononcé avant 2025 : les règles actuelles consistant à proratiser la pension de réversion en fonction de la durée du mariage perdureront. 2) S’il a lieu après cette date : les modalités restent à définir et donneront lieu à une ordonnance précisant les détails.
Et dans l’Education nationale ?
Il s’agit d’un débat particulier. En effet, il est acquis que le nouveau système serait très défavorable aux enseignants, aux chercheurs, aux CPE, aux PsyEN. Dans la fonction publique, le passage d’un système prenant en compte seulement les 6 derniers mois à un autre prenant toute la carrière comme base de calcul amènerait de fortes baisses de pension. Pour la plupart des fonctionnaires, cette différence serait compensée par une nouveauté : la prise en compte des primes dans le calcul des points. Mais pour les corps précisés plus haut, il n’y a quasiment pas de primes à prendre en compte ! D’où la forte inquiétude des collègues, tout à fait légitime. Le SGEN-CFDT depuis le début à évidemment alerté le ministère et a demandé des compensations. Si pas mal de doutes pouvaient apparaître par rapport à la crédibilité d’un tel échange, il semble aujourd’hui que nous soyons sur la bonne voie. Les annonces du gouvernement semblent suivies d’effet. Pour l’instant. Comme annoncé par Edouard Philippe le 11 décembre dernier, la loi reprend dans son article 1 (ce qui n’est pas anodin), le principe d’une « revalorisation de leur rémunération leur assurant le versement d’une retraite d’un montant équivalent à celle perçue par les fonctionnaires appartenant à des corps comparables de la fonction publique de l’Etat », le tout « dans le cadre d’une loi de programmation » (voir ici le projet et ici l’exposé des motifs). Les discussions ont commencé lundi 13 janvier..
Nous sommes donc maintenant bien au-delà de promesses même s’il faut rester prudent.
Il reste en effet des problèmes. D’une part, si le montant annoncé (une dizaine de milliards) correspond à priori aux besoins de cet équilibrage, on reste pour l’instant dans des annonces, qui seront donc à écrire dans la loi de programmation. Et notre ministre Blanquer a souvent par le passé tenté de nous faire prendre des vessies pour des lanternes (en particulier en début d’année avec ses fameux 300 euros d’augmentation en fait déjà actés par le gouvernement précédent et gardés par lui au congélateur). Il n’est cependant pas le seul à le dire. En particulier, le ministre du budget, Gérald Darmanin, a lui aussi avancé ce chiffre, comme d’ailleurs le président de la République. Et dans ces domaines, la parole de Bercy a plus de poids qui quiconque.
Mais le problème essentiel est l’introduction d’éventuelles compensations par le gouvernement pour ces augmentations. Soit sous forme d’un temps de travail supplémentaire, soit en distribuant l’argent sous forme de primes associées à certaines fonctions ou travaux. C’est-à-dire à certains mais pas à tous. Là le gouvernement reste très vague et refuse de clarifier, ce qui n’est pas de bon augure. Le fait que le ministre n’a pour l’instant promis que 500 millions pour la seule année 2021 (alors qu’il a dix milliards “sous la main”) laisse présager qu’il donnera le reste sous condition. On verra dans la suite des discussions, mais ces compensations ne seraient pas acceptables : il s’agit de rétablir d’une part un niveau de pension de retraites et aussi une baisse tendancielle des salaires des enseignants depuis des décennies.
Il ne faut cependant pas limiter les demandes aux retraites. Clairement, la grève très suivie du 5 décembre a montré l’étendue du malaise dans l’Education nationale (et pas seulement chez les enseignants). Il faut le dire mais aussi trouver des solutions. Entre autres, le SGEN-CFDT a des revendications sur :
– le droit ouvert, enfin, aux professeur.e.s des écoles de partir à la retraite à leur date anniversaire (et non plus seulement au 1er septembre).
– les contractuels : les concertations sectorielles dans les ministères doivent aussi bénéficier aux contractuels
– une amélioration des règles de reclassement : il faut cesser de pénaliser celles et ceux qui intègrent un corps de la fonction publique après avoir été agent contractuel ou après une première carrière dans un autre corps de la fonction publique ou dans le secteur privé
– un travail de réduction drastique des inégalités femmes-hommes sur tous les éléments de rémunération : il y a urgence à agir tant les primes creusent les inégalités entre femmes et hommes, sauf lorsqu’elles sont forfaitaires et servies à tous,
– l’aménagement des fins de carrière : pour toutes et tous avec des dispositifs au choix de l’agent de diminution du temps de service, d’évolution des missions, de temps partiel de droit. Les nouveaux droits en la matière doivent être accessibles au plus vite.
– les enjeux de pénibilité : des personnels sont aussi concernés à l’Éducation nationale, l’Enseignement supérieur et la recherche, la Jeunesse, les Sports et l’enseignement agricole public.
De plus, le budget pluriannuel destiné à la revalorisation en compensation du nouveau mode de calcul doit s’ajouter au glissement vieillissement technicité habituel, à la poursuite de PPCR et aux autres mesures catégorielles ou de politiques éducatives envisagées par ailleurs. Il devra tenir compte aussi de l’effet de l’inflation.
Il y a dans ces domaines de bons espoirs. Cette semaine se sont ouvertes dans la fonction publique les discussions sur la pénibilité (y-compris les risques psycho-sociaux qui nous concernent plus) et les fins de carrière (le compte-rendu de la première réunion, la déclaration CFDT), en lien avec le projet des retraites.
Encore une fois, il n’est pas question de crier victoire. Nous en sommes encore très loin. Si la CFDT entre dans les discussions, cela ne veut pas dire qu’elle donne un blanc-seing au projet du gouvernement. Les défis restent nombreux et in fine, si les améliorations ou les garanties dans les différents textes ne sont pas suffisantes, elle ne s’interdira pas de les refuser.