Madame la rectrice,
Notre administration vit aujourd’hui une situation inédite. D’une part, c’est la première fois que notre pays se confine sur l’ensemble du territoire et aussi longtemps. D’autre part, aucun plan n’avait été conçu dans l’Education nationale pour parer à ce genre de situation. Et pour faciliter les choses, notre ministre a repoussé jusqu’au dernier moment la perspective d’une fermeture des établissements : les équipes ont été prises de cours et ont eu une seule journée pour s’organiser.
Il a donc fallu très vite s’adapter. A tous les niveaux : les enseignants, les élèves et leurs parents en premier lieu. Sans oublier la hiérarchie intermédiaire, en particulier les chefs d’établissement, qui ont dû gérer au mieux la mise en place de la continuité pédagogique, sans beaucoup de consignes (ces dernières se contredisant d’ailleurs régulièrement). Les personnels ATSS ont dû eux aussi instaurer une continuité administrative avec les moyens du bord. Et nous ne doutons pas que vous même et vos collaborateurs, madame la rectrice, vous avez eu beaucoup de travail.
Beaucoup de bonne volonté a été montrée, beaucoup d’efforts ont été consentis. Chacun a pu constater l’énorme investissement déployé par tous lors de la première semaine. C’est la preuve que quand on responsabilise les personnels, ils fournissent une énergie considérable et sont capables de s’organiser. Il a bien fallu faire face aux nombreux dysfonctionnements avec les moyens du bord, en particulier quand l’ENT s’est révélé inutilisable. Le « télétravail » imposé à la plupart des agents s’est mis en place en dehors de tout cadre, avec le matériel personnel la plupart du temps.
Tout cela a paru normal sur le moment, car tout le monde devait y mettre du sien face à une situation exceptionnelle.
Cependant, maintenant, le provisoire va durer. Il va être nécessaire d’évaluer rapidement les conditions de travail des personnels,comme d’ailleurs des élèves. Le « télétravail » qui est actuellement imposé implique des risques : isolement professionnel qui pour certains se rajoute aux difficultés du confinement, risque de surinvestissement ou d’absence de déconnexion, manque de matériel (beaucoup partagent un seul ordinateur dans le foyer avec le conjoint et des enfants, ou n’ont pas d’endroit calme pour travailler) … Ces risques sont bien identifiés quand on met en place du vrai télétravail. Ils ont fait l’objet d’une analyse dans l’académie. Et il faut ajouter le fait que, comme de nombreux salariés, les collègues doivent gérer la présence et le travail scolaire de leurs propres enfants. Il faut maintenant clairement alerter les personnels et leur hiérarchie sur les effets délétères possibles. Nous constatons encore ponctuellement des hiérarchies qui se font un devoir de faire pleuvoir des consignes continuelles sur les personnels ; ou qui imposent des calendriers de présence virtuelle, comme si on pouvait fournir le même temps de travail avec ses enfants à la maison et un matériel pas toujours à la hauteur. Comme si de rien n’était.
Après le provisoire, nous reviendrons, un jour, à la normalité. Tout ne sera sans doute pas comme avant, mais à un moment, enfin, les enseignants retrouveront leurs élèves dans la même salle et chacun pourra discuter de visu avec ses collègues. Des décisions au niveau national devront être prises concernant les examens, les validations, l’orientation. Contrairement à ce qu’a laissé penser notre ministre un moment, l’enseignement à distance ne se fait pas avec la même efficacité que dans une salle de classe. Un nombre non négligeable d’élèves est déscolarisé de fait. Beaucoup, et c’est bien plus difficile à mesurer, ne peuvent pas trouver chez eux l’aide nécessaire. Même avec la meilleure volonté du monde, tous les parents ne sont pas pédagogues ; il existe de nombreuses zones « blanches » en Normandie, y-compris pour internet ; et une batterie de téléphone qui lâche peut couper le dernier lien possible avec les enseignants. Il faudra donc au retour remotiver les élèves et reprendre pour l’essentiel les choses là où elles étaient restées.
Il est aussi malheureusement possible que tous ceux qui étaient présents à la mi-mars ne soient plus là. Nous espérons évidemment que cela soit limité le plus possible mais certainement des élèves auront eu un proche disparu. Il faudra aider les équipes à gérer tout cela.
La situation est inédite, les problèmes ne sont pas toujours prévisibles. Nous apprenons en marchant. Il aurait été cependant fructueux que l’administration rectorale actuelle change la posture d’abandon du dialogue social qu’elle pratique depuis un an. Alors que dans de nombreuses académies des CTA ou des CHSCT informels sont réunis toutes les semaines, ou que des coups de téléphone réguliers sont échangés entre responsables syndicaux et rectoraux, rien ici. Pas de ça chez nous ! A si, un coup de téléphone pour décaler le CTA …
Les CHSCT, CTSD ou CTA qui se tiennent actuellement n’ont même pas mis à leur ordre du jour un point sur la situation due au confinement. Heureusement que des années de militantisme permettent de recueillir, à force, quelques numéros de portable. C’est ce qui a permis de régler des situations problématiques rapidement. Les lieux d’échanges, formalisés et informels, sont essentiels au dialogue social en temps normal. Leur absence est un manque criant en situation de crise. Peut-être estimez-vous madame la rectrice, que vous pouvez tout faire sans les représentants du personnel ? Pourtant, en cas de problème, c’est bien nous que les collègues appellent.