En ce début de déconfinement il est temps d’établir un premier bilan.
La reprise a démarré dans le premier degré la semaine dernière. Les directrices et directeurs ont été les premiers au front, obligés de gérer une réalité de terrain et des injonctions hiérarchiques parfois contradictoires mais toujours péremptoires. L’absence de statut des directeurs les a mal protégés d’une pression venue de certaines DSDEN qui ont semblé surtout préoccupées par l’application de grilles doctement pensées en son sein et par la remontée de chiffres. La hiérarchie a été omniprésente mais n’a guère brillé par l’aide apportée. Les ordres et contrordres, les exigences immédiates et le pinaillage ont pesé sur les collègues. Les collègues se sont rarement sentis soutenus ou aidés. Quant à la confiance, on a bien senti qu’elle n’était pas présente partout.
Il fallait mettre en place au pas de charge cette rentrée présentée par le ministre comme bien contrôlée, alors qu’en réalité le temps de préparation était trop court. Une journée de pré-rentrée octroyée au premier degré alors que la réalité a montré que les directeurs et directrices ont été sollicités tous les jours depuis le 27 avril pour préparer cette reprise du 11 mai. Notons que les jours fériés et autres samedi et dimanche ne sont plus des temps de repos puisque les demandes ont été incessantes et quotidiennes ! L’absence de déconnexion et l’investissement intense ont fortement pesé sur les collègues, parfois au détriment de leurs élèves ou de leur famille, voire ont mis à mal leur santé. Dans un certain nombre de cas, lorsque des directeurs ont voulu organiser des Conseils d’école pour présenter la nouvelle organisation avant de reprendre, des IEN ont prétendu leur interdire des réunions. En dépit de toutes ces difficultés, les enseignants ont, comme d’habitude, incarné le service public d’éducation, et les élèves ont été accueillis.
La reprise s’est enclenchée dans les collèges. Sans doute les conditions y ont été meilleures. Les chefs d’établissement bénéficient d’une autonomie bien supérieure à celle des directeurs, et ils ont quelques moyens humains (adjoint, gestionnaire, secrétariats, CPE …). Les collègues ont aussi eu plus de temps, une semaine. Les collectifs de travail ont eu du temps pour réfléchir, et les injonctions comme les comptes à rendre ont été bien plus limités. A une exception : la nécessité de passer les protocoles sanitaires par un conseil d’administration exceptionnel. Cette obligation de dernière minute a été anxiogène et facteur de risques. Un vote positif à l’unanimité est certes symboliquement positif, et la responsabilité personnelle du chef d’établissement s’en trouve moins exposée. Mais un vote négatif voire « abstentionniste » a des effets inverses, qui peut avoir pourtant des causes complètement étrangères sur le fond à la question posée. Pour un résultat qui juridiquement est contestable : il est difficile de trouver dans les textes réglementaires, à moins de les tordre, la nécessité d’un tel vote ; de plus la réalité matérielle du déroulement (convocation à la dernière minute, impossibilité pour certains de s’y rendre, problèmes techniques sur des CA en visioconférence) rend attaquable de nombreux résultats.
Et pendant ce temps, le seul document officiel qui a du sens du point de vue sanitaire, le DUER, est largement oublié. C’est pourtant lui que viendront voir les gendarmes si un jour une plainte est déposée.
Nous tenons à signaler aussi que la période a été difficile pour les chefs d’établissement. Certains sont en difficulté, mais n’arriveront pas facilement à le dire. L’absence d’adjoint quand il faut comme actuellement constamment refaire les emplois du temps, est un manque lourdement ressenti en ce moment.
Les conditions matérielles ont été un élément fort d’anxiété avant la reprise. La présence de masques, de liquide hydroalcoolique ou de virucide a été scrutée. Force est de constater que les approvisionnements ont été fait au dernier moment, voire après la rentrée. Les solutions ont souvent été trouvées sur place ou grâce à la débrouillardise des personnels. Certains lieux comme les CIO ne sont toujours pas approvisionnés en masques.
Les formations aux gestes barrières et à l’utilisation des matériels ont été faites. C’était une nécessité. Beaucoup d’idées fausses continuent cependant à être répandues, et des questions de collègues ne trouvent pas encore de réponse. C’est le rôle de l’Etat de garantir des normes, et il n’est pas normal que la seule source d’information possible soit parfois le dernier article paru dans la presse.
La réouverture des écoles et des collèges a comme raison première le retour à la scolarité des élèves les plus éloignés de la réussite. Tous les sondages faits dans les écoles comme dans les collèges montrent le contraire : les élèves que nous retrouvons ne sont pas ceux qui en auraient eu le plus besoin. Ceux qui ont le mieux vécu le confinement, scolairement parlant, sont les premiers à revenir en classe. A l’inverse, les élèves les moins en réussite et qui souvent sont ceux qui ont eu le plus de mal à trouver de l’aide chez eux, restent à la maison. Pour simplifier, les élèves les plus favorisés vont donc bénéficier d’un suivi renforcé en présentiel avec de petits effectifs tandis que les élèves décrocheurs restés chez eux vont voir la continuité pédagogique se réduire voire même s’arrêter. Les élèves les plus en difficulté qui bénéficiaient du suivi personnalisé du RASED pendant le confinement sont pour l’instant laissés « sur le bord du chemin » puisque les collègues du RASED ont dû assurer la prise en charge de groupes d’élèves dans les écoles. Quand ces personnels pourront-ils reprendre leurs missions ? De même, les compétences du réseau des personnels MLDS devront aussi être mobilisées. Peut-être sera-ce l’occasion de leur verser les primes auxquelles les textes leurs donnent droit et qu’ils réclament depuis plus d’un an ?
Le choix laissé aux familles va donc neutraliser les objectifs affichés du déconfinement. Cela n’a rien de surprenant : l’Etat a abdiqué sa fonction de garant des conditions sanitaires. S’il laisse le choix, c’est donc qu’il y a un risque. C’est donc aux parents de rechercher par eux-mêmes dans la jungle des informations contradictoires si envoyer leurs enfants à l’école est dangereux ou non. Le niveau d’études des parents est à ce titre déterminant.
On a une déconnexion totale entre l’objectif médiatiquement affiché et la réalité du service rendu au public. Et l’on renforce une fois de plus les inégalités sociales. Mais qui à Paris s’en soucie ?
Ce même problème du choix des familles impacte les conditions de travail des enseignants qui doivent maintenant gérer à la fois des élèves devant eux et des élèves qui restent chez eux. Et parmi ces derniers, certains viennent une fois sur deux, d’autres jamais ! Certes le discours officiel martèle que l’on fait soit du présentiel, soit du distanciel. Cependant, cela s’oppose à la réalité du terrain : les collègues assument les deux, ce qui parfois amène à une double journée de travail. Répéter le contraire et se boucher les oreilles ne changera rien à cette réalité et aux problèmes à venir. Si ce fonctionnement s’installe dans la durée, les risques professionnels sont réels.
La séquence récente a enfin montré la profondeur du manque de confiance qu’une certaine hiérarchie a envers les personnels de terrain. La surveillance tatillonne dans le premier degré en est un exemple déjà développé. Le refus de diffuser clairement les possibilités de rester en télétravail en est un autre. Au niveau ministériel comme aux niveaux rectoral et départemental, le travail de dissimulation des procédures pour les personnes fragiles comme pour ceux qui décidaient de ne pas mettre leurs enfants à l’école a été intense. Alors même que le ministère de la fonction publique indiquait clairement ces possibilités. Et même connues, ces procédures ont été fortement freinées. Certains PE du Calvados, ont dû faire leur demande de télétravail trois fois afin que leur IEN donne enfin un avis favorable à leur demande. De toute évidence, la peur était grande que des personnels en profitent pour « tirer au flan ». Quelle déconnexion du terrain quand on voit par ex que 91,5% des enseignants de la Manche ont retrouvé le chemin de l’école !
Dans le même ordre d’idées, certains au ministère ont cru indispensable de donner des indications sur les parties du programme à terminer en priorité, à l’école comme au collège. Quel esprit gonflé de sa propre suffisance a pu imaginer qu’il était nécessaire d’éclairer ainsi les enseignants ? Sans doute nous imagine-t-il perdus dès que les lumières s’éteignent rue de Grenelle !
Après un confinement brutal qui avait obligé à laisser la main aux personnels sur le terrain, le déconfinement partiel, en se donnant quelques semaines pour être mis en place, a été pour certains une occasion de rétablir une autorité hiérarchique qui semblait devenue inutile. Ces tentatives ont pour l’essentiel été plus contre-productives qu’aidantes. Le ministère montre depuis le début de la crise son impuissance à contrôler la situation, voire même à en avoir une vision claire. Cette crise a pour l’instant au moins un côté positif : elle a montré que le service public d’Education nationale ne se trouvait pas dans les points presse parisiens, mais dans le travail au jour le jour des personnels.
Car si les personnels ont su relever en partie le défi de cette période de confinement, c’est au prix d’une dépense d’énergie et d’un stress que l’on ne peut concevoir sur la durée.
Nous vous demandons donc, Madame la Rectrice, d’engager au plus vite la réflexion et les concertations nécessaires à la préparation de cette rentrée de septembre, afin que celle-ci ne se déroule pas dans les conditions que nous avons connues ces dernières semaines.
Donnez-une réalité à « l’école de la confiance » : commencez par interroger les personnels sur leur manière d’envisager la rentrée. Eux savent ce qui est envisageable et ce qui ne l’est pas, compte-tenu du terrain qu’ils connaissent ! Faîtes confiance à leur expertise. Ce n’est pas de contrôle qu’ils ont besoin, mais d’accompagnement !