Cette citation de J.K. Rowling est bien adaptée à la tempête qui souffle actuellement sur la réputation des enseignants.
Portés aux nues durant le confinement, quand parents et journalistes découvraient qu’il n’était pas si facile d’enseigner à leurs rejetons, surtout à 35 par classe, les enseignants sont maintenant accusés d’être des planqués et des fainéants par des parents qui ne comprennent pas pourquoi ils ne peuvent pas renvoyer lesdites “têtes blondes” en classe.
Pour caricaturer, mais il est difficile de faire autrement en terme de communication, c’est à peu prêt comme cela que les choses ont évolué en l’espace de quelques semaines.
Le feu a été mis aux poudres par un reportage de France 2. Une simple lecture montre pourtant le peu de sérieux du journaliste. Ses sources se résument au témoignage d’une famille (qui ose briser un “tabou”), puis sur deux lettres de parents mécontents dans deux établissements différents, puis encore sur le témoignage d’une lycéenne trouvé sur les réseaux sociaux ! La généralisation de ces quelques cas isolés est faite en s’appuyant sur une source d’informations mystérieuse confirmée par des chiffres du ministère, un extrait d’une interview d’un responsable syndical des chefs d’établissements qui indique l’existence de difficultés, puis enfin d’un enregistrement téléphonique d’un “syndicaliste” anonyme.
Les témoignages de représentants syndicaux d’enseignants qui tentent de donner des explications sont eux tournés en ridicule.
Enfin, sont mélangés des situations qui ont eu lieu dans le confinement et d’autres qui relèvent du retour dans les établissements.
Depuis, les commentateurs divers s’en donnent à cœur joie, caricaturant un article qui est déjà simpliste.
Quelques vérités à rétablir donc, de deux ordres : la réalité des faits d’une part, le soupçon de manipulation politique d’autre part.
La réalité des faits
D’abord les chiffres. Il est très surprenant que le ministère puisse donner des chiffres car honnêtement, il est difficile de comprendre d’où ceux-ci pourraient provenir. Comment le ministère aurait-il pu surveiller que les enseignants donnaient du travail ou non ? Tous les enseignants qui ont vécu la “continuité pédagogique” savent qu’il a fallu s’adapter aux situations locales. Certains enseignants ont envoyé du travail par l’ENT, d’autres par Pronote, d’autres encore par les classes virtuelles ou les mails des familles. Il a parfois fallu imprimer les cours et les faire parvenir directement aux familles sous forme papier. Très souvent, plusieurs de ces moyens ont été utilisés. Comment le ministère aurait-il pu savoir qui n’envoyait quoi ? A-t-il fait une enquête auprès des directeurs d’école et des chefs d’établissement ? Nous n’en avons pas eu connaissance, et il est à espérer que ces derniers n’aient pas été sollicités pour cela : ils avaient bien d’autres chats à fouetter !
Il s’agit de toute évidence d’une évaluation “au doigt mouillé”, venant d’un ministère qui a brillé par son incapacité à avoir des informations fiables sur la réalité du terrain durant le confinement.
S’agissant ensuite des raisons de ces situations où des enseignants n’ont rien envoyé, qui existent certainement, il est difficile par suite de chiffres sérieux de donner des raisons. Certains enseignants ont malheureusement été touchés par des formes graves du COVID et n’ont évidemment pas pu faire des cours, même à distance. Les problèmes matériels ont été réels : zones blanches pour l’accès à internet, problèmes d’ordinateurs qui tombent en panne au mauvais moment, ou qui sont à partager entre plusieurs membres de la famille (rappelons que tout ce matériel était personnel !). Et il ne faut pas non plus sous-estimer l’illectronisme qui, s’il est moins répandu chez les enseignants que chez d’autres parties de la population, n’en est pas totalement absent non plus. Utiliser sans formation un ENT, inaccessible durant deux semaines qui plus est, ne fait pas du jour au lendemain. Enfin, l’isolement ou le confinement ont pu avoir sur certains collègues des conséquences psychologiques qui les ont éloignés de leurs obligations : cela a été très vite reconnu par les rectorats qui ont mis en place des numéros d’appel.
Et il existe certainement aussi des collègues qui pour de mauvaises raisons ont décidé de ne pas participer à la “continuité pédagogique”. Dans tout groupe il existe des individus qui, à un moment, sortent des cadres. L’expérience du milieu enseignant montre cependant qu’ils sont très peu nombreux en temps normal.
Ensuite, concernant la période de reprise, il est évident que de très fortes proportions d’enseignants n’ont pas repris devant les élèves.
La raison la plus évidente est l’absence justement des élèves. Le 11 mai n’ont repris que certains niveaux du primaire. Le 18 mai, ce furent les 6èmes et les 5èmes. Enfin le 2 juin, tous les niveaux. Les enseignants qui n’étaient pas concernés sont évidemment restés chez eux, non pas à se tourner les pouces, mais bien à continuer le travail à distance avec leurs élèves.
Il y a aussi, comme pour tous les salariés, les personnels fragiles ou qui côtoient des personnes fragiles.
Enfin, certains collègues ont préféré garder leurs enfants avec eux et ne pas les renvoyer à l’école, comme cela était possible pour tout le monde (ce n’est plus le cas). Les informations, partielles évidemment, que nous avons pu réunir, montrent que cette dernière situation a été en fait marginale.
En tous cas, pour les collèges et pour les écoles, où nous avons pu avoir quelques chiffres, les enseignants non revenus devant les élèves pour des raisons de fragilité ou de choix de garde d’enfant représentaient environ 5% en mai. A mettre en rapport avec le pourcentage des élèves qui sont revenus, qui tourne autour de 50%. Et évidemment, ces enseignants ont travaillé de chez eux.
Faut-il voir ici une manœuvre politique ?
La réaction du ministre est surprenante. Certes, Jean-Michel Blanquer souligne l’engagement de la majorité des enseignants, mais c’est quand même son ministère qui donne des chiffres largement incontrôlables. Il a aussi très vite embrayé sur la promesse de sanctions qui devront être données. Il sera d’ailleurs intéressant de voir dans quelques mois quelle est la réalité du nombre de collègues sanctionnés, car pour retirer des jours de salaire, il faudra des preuves solides !
Le ministre fait ainsi avancer ses idées de rémunérer les personnels au mérite. C’est intéressant pour lui au moment où il doit finaliser les promesses d’augmentations de salaire lancées il y a quelques mois. Prévues au départ pour ne pas pénaliser les enseignants dans le futur système de retraite, elles seront au moins en partie effectives malgré l’abandon apparent de cette réforme. Le ministre ne cache pas sa préférence pour une rémunération qui favorise la docilité des personnels, contrairement à ce qu’à mis en place le PPCR.
On peut aussi envisager la légendaire incapacité de notre ministre à assumer. Beaucoup de parents sont mécontents de ne pas pouvoir renvoyer tous les jours leurs enfants à l’école. Et cette frustration peut se comprendre. L’évidence est que cette difficulté réelle est due non à l’absence de professeurs, mais bien au protocole sanitaire, particulièrement strict dans l’Education nationale. Le gouvernement a ouvert grand les parapluies au moment du déconfinement, avec ces protocoles qui garantissaient qu’aucun risque ne soit pris (et cela peut se défendre) et aussi avec le choix laissé aux familles (et c’est là beaucoup plus contestable). Face à la grogne, il cherche des boucs émissaires faciles pour son électorat : les profs, par nature tire-au-flan.
Ainsi, s’il ne faut pas sombrer dans le complotisme, le ministre cherche au moins à tirer partie de la situation. Et comme à son habitude, l’intérêt qui prime est le sien.