Madame la Rectrice
En ce début d’été 2020, nous vivons la fin d’un chapitre exceptionnel. Une fin peut-être provisoire, tant nous sommes maintenant habitués à réviser nos certitudes toutes les deux semaines. Sans vouloir faire un bilan, une ambition qui dépasserait le cadre d’une déclaration au CTA, nous voulons attirer votre attention sur quelques enseignements.
La période a été marquée par la gestion de l’urgence. En mars mais encore aujourd’hui, tous les personnels, dans les établissements, dans les services, autour de vous Madame la rectrice, tout le monde a fourni un travail remarquable et intense.
Cependant, il ne faudrait pas que l’urgence devienne une façon habituelle de gérer les choses. Depuis que l’annonce du retour en classe de tous les élèves a été faite, toutes celles et tous ceux qui organisent ce retour et le mettent en œuvre ont travaillé sous tension. Tension d’avoir à attendre des consignes annoncées médiatiquement mais qui ne viennent pas officiellement, tension de recevoir des consignes mouvantes voire inapplicables. Entre travail empêché et injonctions contradictoires, pour beaucoup soumis à une double autorité, les agents publics à l’Education nationale et les salariés des collectivités territoriales qui interviennent au titre de l’accueil périscolaire, des services de restauration ou du transport scolaire, font du mieux qu’ils peuvent au service des enfants et de la population. Du point de vue des élèves et des parents, il a pu y avoir des insatisfactions : une information tardive ou une impossibilité réelle d’accueillir tous les enfants. Cela n’est pas du fait des professionnels qui font preuve d’initiative et d’adaptation, tout en étant attentifs au respect des consignes sanitaires dans l’intérêt général. Trop souvent les annonces gouvernementales se sont heurtées à la réalité ; trop souvent les personnels ont dû prendre leurs consignes dans les journaux ; trop souvent ils se sont retrouvés en porte-à-faux vis-à-vis de parents exigeants que leur enfant soit accueilli tous les jours, alors que les règles sanitaires l’interdisaient.
De fait, certains sujets, considérés comme moins urgents, ont été renvoyés à plus tard. Nous vous avons alerté par exemple sur les collègues travaillant dans la MLDS qui attendent depuis un an et demi certaines primes. D’autres sont traités rapidement, mais sans la concertation nécessaire, comme l’alignement normand des rémunérations des intervenants en formation continue. Ces difficultés qui grèvent le dialogue social sont d’ailleurs aggravées par le processus de fusion des deux académies, lié à un renouvellement important des cadres : il est souvent difficile de trouver le bon interlocuteur, voire d’obtenir une simple réponse.
Les personnels dans leur ensemble ont été sursollicités. Ils attendent une reconnaissance. Naïvement, ils l’ont espéré de leur ministre, jusqu’à ce que celui-ci ne prenne même pas la peine de les défendre face à des accusations de journalistes mal informés. Personnels sursollicités. Vous avez certes, Madame la rectrice, constamment affirmé votre admiration pour le travail réalisé et l’engagement, mais malheureusement vos propos sont moins relayés que ceux d’un ministre …
La reconnaissance attendue est aussi, au moins en partie, financière. La déclinaison de la mise en œuvre de la prime exceptionnelle Covid 19 annoncée par le Ministère a été confiée aux académies. Il est prévu que celles-ci fassent parvenir un tableau de recensement des personnels concernés au ministère. A ce jour, aucun recensement des jours effectués n’est parvenu dans les écoles et établissements. Le Sgen-CFDT vous demande toute la transparence possible dans l’attribution de cette prime en discutant des critères et des modalités d’attribution dans les comités techniques locaux. Suite à une enquête réalisée par nos soins dans un département, il apparait que l’organisation la plus retenue était une rotation des personnels sur peu de jours. C’est avec amertume et parfois colère que les collègues ont appris que du fait de cette organisation du service par rotation, ils ne toucheraient pas de prime. C’est pourquoi le Sgen-CFDT vous demande que tous les personnels ayant participé à cet accueil en Normandie bénéficient de la prime : la tranche moins de 4 jours doit être intégrée à celle qui permet de percevoir 330 euros de prime.
La reconnaissance passe enfin par des avancées dans des dossiers qui déjà, pouvaient être urgents avant l’épidémie du Covid-19. Nous tenons à vous alerter sur la situation des directrices et directeurs : ceux-ci ont travaillé d’arrache-pied depuis le début du confinement et jusqu’à aujourd’hui. Week-ends, jours fériés, aucun répit ne leur a été accordé puisque toute l’organisation reposait sur eux et changeait sans arrêt. Pourtant, malgré tout leur investissement, parfois au risque de leur santé et en délaissant leurs proches, quelle est leur reconnaissance ? La loi Rilhac, dans laquelle ils fondaient leurs espoirs, a été vidée de ses avancées concrètes. Les chefs d’établissement vont quant à eux bénéficier d’une prime pour services rendus pendant le confinement, ce qui est tout à fait normal. Mais c’est encore une couleuvre à avaler pour les directeurs et directrices. Aujourd’hui par exemple, ils sont tenus de faire remonter un tableau quotidien de présence des élèves : non par classe mais par classe d’âge, ce qui implique des calculs en tous genres puisque les cohortes peuvent être réparties dans plusieurs classes. A quoi sert cette enquête quotidienne ? S’il s’agit d’évaluer l’impact du confinement sur le décrochage d’élèves, une seule enquête suffit. C’est d’ailleurs la consigne donnée au Ministère aux organisations syndicales. Rappelons aussi que le registre d’appel existe et qu’il est renseigné par les collègues, l’absentéisme est donc déjà pris en charge dans le travail des directeurs. Le Sgen-CFDT vous demande donc de faire cesser ces enquêtes qui ne semblent avoir que la communication comme objectif et qui alourdissent la charge de travail des directeurs qui sont aussi enseignant en classe toute la journée (sauf pendant leur temps de décharge, quand ils en ont) !
Et l’avenir maintenant. Certes, à court terme, celui de la rentrée prochaine. Il est marqué par l’inquiétude. Celle de la déscolarisation de certains élèves ; celle d’une organisation sanitaire lourde qui gêne considérablement la pédagogie et qui a fait oublier que les écoles, collèges et lycées sont des lieux de vie ; celle enfin d’un reconfinement, même partiel, qui relancerait l’enseignement à distance. Les équipes s’organisent déjà pour que « la prochaine fois », la transition se fasse plus facilement et que le lien avec les élèves et leurs familles soit plus solide. L’inquiétude marque aussi fortement les collègues de lycées. Ils n’ont pour l’instant pas l’expérience d’un retour massif des élèves avec les protocoles sanitaires. Le risque pour leurs élèves est aussi plus élevé, comparé à celui des élèves de primaire et de collège.
Nous sommes peut-être dans l’œil du cyclone, ou celui-ci est peut-être passé. Dans tous les cas, il va falloir, bon an, mal an, reconstituer une normalité de fonctionnement. Les collègues, les élèves et leurs parents y aspirent. Nous l’attendons de votre action, Madame la Rectrice. Pour ce qui est de notre ministre, nous n’avons plus d’illusions …