La réponse peut paraître simple. D’une part la fédération SGEN-CFDT a voté pour le texte présenté par la ministre lors du CSE du 10 avril (comme une large majorité des votants d’ailleurs). D’autre part, le mot d’ordre de grève porte sur le refus de l’autonomie donnée aux équipes par la réforme du collège, autonomie que le SGEN réclame depuis longtemps. Il semble donc incongru d’envisager qu’un syndicat SGEN-CFDT puisse appeler à la grève ce jour-là. Et pourtant …
Le texte actuel pose des problèmes et il reste beaucoup d’inquiétudes
La position du SGEN face à une proposition de changement est toujours la même : faire la balance entre les avancées et les problèmes qui sont posés. Sur la réforme du collège, on peut établir le tableau simplifié suivant.
Les avancées |
Les problèmes |
Un collège conçu pour la réussite de tous les élèves. On sort de la logique historique : un collège « petit lycée » qui a pour horizon de faire entrer les élèves au lycée général, ceux qui n’y arrivent pas étant orientés vers le technologique ou le professionnel. Il y a une volonté de centrer l’enseignement autour des besoins des élèves (cycles, accompagnement pédagogique, autonomie des équipes) et des futurs adultes (appuis sur les langues étrangères ou l’informatique) et des envies des adolescents (EPI). Enfin, cette réforme est pensée globalement, en liaison avec la refonte des programmes du primaire à la fin du collège. |
Si la volonté est réelle de la part de la ministre, deux écueils se profilent : – « il y a loin de la coupe aux lèvres », et la déperdition en ligne entre le ministère et l’application réelle est souvent importante. – Un ministre est sur un siège éjectable. NVB peut partir, la majorité gouvernementale peut changer (normalement pas avant 2017). Bref, il faut que les volontés se traduisent dans les textes et dans la réalité du fonctionnement des établissements, ce qui implique l’adhésion des enseignants. Ce qui pour l’instant n’est pas gagné ! |
L’ambiance ressentie de l’établissement, pour les personnels comme pour les élèves, sera mesurée. Cet aspect essentiel, à la fois pour la réussite des élèves et pour les conditions de travail des personnels, est enfin pris en compte. |
Peu d’informations sont actuellement connues sur ces indicateurs. Quelle sera leur réalité, quelle sera aussi l’efficacité des mesures prises en cas de détérioration de l’ambiance ? Difficile de le savoir, d’autant plus que la nouveauté de la mesure prédit un tâtonnement dans les premières années. |
Une autonomie des équipes revendiquée par le texte et le ministère (Accompagnement personnalisé, EPI, modulation des horaires disciplinaires, part d’autonomie). On peut trouver dans la fonction publique et dans l’Education des fonctionnements qui peuvent servir de modèle, comme les CIO ou le Supérieur. |
Il faut du temps de concertation pour mettre en œuvre cette autonomie. Ce temps ne doit pas être en sus du service actuel. De plus, les textes doivent clairement empêcher que le chef d’établissement puisse bloquer les choses pour décider seul (ou se sentir obligé de, pour des raisons de responsabilités). Le collège fonctionne depuis longtemps sur un mode hiérarchique et changer les habitudes n’est pas facile. En particulier, le fonctionnement actuel du Conseil d’administration (CA), qui donne de fait la main au chef d’établissement sur la répartition de la DHG (après deux votes négatifs sur des propositions … du chef d’établissement) doit être revu. |
L’autonomie s’accompagne de programmes qui sont à la fois centrés sur le Socle commun et pas trop directifs pour pouvoir laisser une autonomie aux équipes dans leur application. Le travail en EPI peut ainsi donner une certaine latitude au choix des élèves et être cadré par les enseignants sur certaines parties du programme. |
Une formation est nécessaire car le changement peut ici être profond. La ministre s’y est fortement engagée. Il faut cependant que cela entre dans les faits. Cette formation ne doit pas être limitée à quelques personnels chargés de diffuser ensuite au reste des équipes ce qu’ils ont appris. Elle doit aussi être prévue dès cette année scolaire pour entrer en application durant l’année prochaine, avant l’application de la réforme du collège et des changements de programmes. La façon dont les EPI seront organisés est encore assez nébuleuse. On a du mal à voir comment sera articulé dans les faits le choix des élèves, l’application des programmes des disciplines (car le temps des EPI sera « coloré » sur un temps disciplinaire) et les thèmes (6 sur le cycle 4, de la cinquième à la troisième). Certes la formation va aider à y voir plus clair, mais il reste aussi l’inconnu de la mise en place technique dans les établissements : l’ambition des EPI résistera-t-elle aux nécessités des emplois du temps, des horaires de bus, du nombre de place limité en permanence, des contraintes du passage au self … ? |
Avancée de la seconde langue en cinquième. Cela suit logiquement l’apprentissage précoce de la première langue dès le début de l’école élémentaire. |
Disparition des classes bilangues. Les collègues concernés (ces classes proposent en grande majorité l’allemand) se sentent niés dans leur investissement et les conséquences sur l’organisation des services risquent d’être importantes (postes partagés par exemple, ce qui est contraire à un travail en équipe, un prof sur plusieurs établissements est souvent dans l’urgence des trajets), même si pour l’instant aucun chiffrage ministériel n’existe. |
Possibilité pour tous les élèves de faire connaissance avec le latin. Cet apprentissage n’est plus un horaire supplémentaire (c’est dans le cadre des EPI obligatoires pour tous) donc le choix ne se fera plus en fonction de la capacité de l’élève à assumer un travail en plus. |
On ne saura pas avant la mise en place de la réforme si le latin (et le grec) sera plus ou moins proposé dans les EPI et donc accessible qu’actuellement. La décision reviendra à chaque équipe d’établissement d’utiliser ou non des heures de la part d’autonomie au service de cet enseignement car rappelons-le, les EPI se font sur du temps disciplinaire. |
On le voit, les nombreuses incertitudes peuvent faire pencher la balance vers le refus de la réforme actuelle. Se mettre en grève pour obtenir des améliorations ne parait donc pas inenvisageable.
Inversement, ces incertitudes n’ont aucune vocation à aller dans le mauvais sens et faire verser cette réforme dans la catastrophe absolue annoncée par certains. Il reste plusieurs textes à négocier sur l’application. C’est normal, car si l’ensemble des textes était rédigé dès le début du processus, la marge de négociation serait minime. Aucun des points qui posent problèmes n’est actuellement objet de blocage de la part du ministère. Et surtout il reste une mise en place à négocier ou à imposer dans les établissements. Car c’est l’ADN de cette réforme : laisser la main aux équipes dans les établissements.
Le refus de cette autonomie cimente l’actuel front syndical opposé à la réforme qui appelle à la grève du 19 mai. La demande est claire : abandonner le texte dans sa globalité. C’est tout ou rien. Certes, il s’agit pour ceux qui ont lancé l’appel de « relancer une négociation sur de nouvelles bases » mais il ne faut pas être naïf : les critiques portent sur tout ce qui change et les « nouvelles bases » risquent fort d’être le statu quo. Comment pourrait-il politiquement en être autrement si le gouvernement faisait machine arrière aujourd’hui face à une contestation dont la direction a été prise par l’opposition ?
Prôner la voie du « on recommence tout » est la certitude de conserver la situation actuelle. Pour longtemps car il n’y a pas de plan B. Le débat est actuellement binaire, soit une réforme (qui peut encore évoluer dans le détail), soit rien du tout (le retrait). L’opposition brutale et sans ouverture du SNES début avril a malheureusement amené à cette situation. C’est dommage car ceux qui réclament le retrait s’excluent des négociations et des évolutions sur le texte et ceux qui suivront.