Madame la rectrice,
Avec toutes les réserves qui s’imposent à ce stade, il semble que les établissements scolaires, les services déconcentrés, les CIO, et en général les services dépendant de l’Education nationale réouvrent dans une échéance de deux à trois semaines.
Pour le Sgen-CFDT Basse-Normandie, les priorités restent inchangées et demeurent la santé des personnels, la sécurité des usagers de l’École et de leurs parents et le non-engorgement des services d’urgence.
Jamais notre administration n’avait connu un confinement. Jamais elle n’a connu un déconfinement. Tout est donc à inventer. Et pas seulement pour quelques semaines, car si on peut discuter de la meilleure date de rentrée, mai, juin ou septembre, quel que soit le moment choisi, il est probable que les problèmes et les garanties sanitaires devront être les mêmes. Et en l’absence de vaccin à courte échéance, les dispositions choisies resteront en vigueur pendant plusieurs mois.
Les personnels que nous représentons se posent de très nombreuses questions. Leur inquiétude est profonde, à titre personnel, professionnel, et parfois aussi comme parents.
Nous avons collecté les remarques qui nous sont remontées. Nous vous les livrons pour permettre à la réflexion collective de s’alimenter au plus tôt. Nous parlons bien de réflexion collective, car il serait contreproductif de vouloir imposer les mêmes normes partout, décidées dans quelques bureaux du rectorat ou des DSDEN. Les représentants du personnel doivent être associés à la définition des cadres aux niveaux académique et départementaux ; l’ensemble des personnels doit élaborer collectivement, dans les lieux de travail, les meilleurs moyens d’accueillir, de protéger les personnes et de recommencer à exercer leur activité professionnelle.
Voici déjà quelques points de tension que nous avons identifiés. Bien évidemment, la liste n’est pas exhaustive : certains problèmes ont déjà été largement évoqués, d’autres n’ont pas encore surgi.
Une reprise ne pourra se faire que si une politique massive de dépistage est mise en place.
– Nous comprenons que toute personne présentant des symptômes sera testée et, si elle est positive, toutes les personnes qui ont été en contact avec elle. Si des symptômes sont repérés dans un établissement scolaire, par qui, comment se fera l’alerte, le test ? A quel endroit pourra attendre la personne « suspecte » ? Il est nécessaire de définir un protocole précis, connu de tous, pour alerter en cas de doute : il est nécessaire à la fois de rassurer et d’éviter une suspicion généralisée.
– Par ailleurs, certains internats ou gymnases sont utilisés pour faire à l’épidémie (centres de consultation, hébergement de malades ou lieux d’isolement). L’organisation du dépistage massif pourra amener à réquisitionner d’autres lieux encore, éventuellement dédiés normalement à l’enseignement. Nous demandons à ce que la priorité reste à la stratégie de santé, même après le 11 mai, sous l’autorité du préfet.
Les locaux doivent être désinfectés autant que sanitairement nécessaire.
– Cela va nécessiter plus de personnels que d’habitude, va-t-il être embauché ? Le lien est essentiel avec les collectivités locales, qui doivent elles-mêmes négocier des protocoles de reprise avec leurs agents. Ces collectivités doivent donner une date à partir de laquelle elles garantissent le cadre sanitaire qui relève de leur compétence.
– Ou alors demandera-t-on aux personnels et aux élèves de nettoyer table et chaise à chaque arrivée et à chaque départ ? Dans ce cas, avec quel matériel ?
– Comment sera nettoyé le matériel informatique ?
– Il faudra éviter le plus possible que les élèves changent de salle, ou avoir les moyens de désinfecter le mobilier rapidement.
– Le matériel mutualisé, comme les manuels scolaires, ne pourra plus l’être sans être désinfecté. Il faudra donc prévoir d’en acquérir d’autres.
– La restauration scolaire posera les mêmes contraintes : désinfection à chaque passage ou restauration dans les classes où se trouvent les élèves.
Le matériel de protection (gel, masques, gants …) doit être disponible en quantité suffisante. Les gestes barrière doivent être clairement connus
– Quelles garanties sont données sur ce matériel ? Qui doit le fournir pour les élèves (mairies dans les écoles, département dans les collèges, région dans les lycées ?) et pour les personnels (l’employeur, donc les collectivités territoriales et l’Etat ?). Les circuits de distribution doivent être clairement identifiés. En cas de rupture, il faut qu’un protocole précis soit établi (fermeture de l’établissement, …)
– Le gel hydroalcoolique paraît bien mieux adapté à un usage dans des locaux où les sanitaires sont souvent largement insuffisants (combien de fois par jour peut-on faire se laver les mains à 400 élèves avec 10 lavabos ?)
– L’utilisation de ces matériels peut nécessiter une formation, en particulier pour les masques et les gants, même courte. Il faut la garantir dès avant l’accueil des élèves.
– Même chose pour les gestes barrières : une formation pour les personnels en amont et pour les élèves le premier jour. Des outils pédagogiques doivent être prévus.
Les personnels fragiles ou qui ont dans leur entourage une personne fragile doivent rester confinés.
l Les personnels fragiles sont très mal identifiés dans notre ministère, à cause en partie de l’indigence de la médecine de prévention. Il faut donc largement faire connaître aux personnels les affections qui les rendent fragiles et la façon de le faire savoir à leur hiérarchie (il y a un secret médical). Il existe des listes de personnes à risque qui devront être largement diffusées.
l Les mêmes problèmes se posent pour les conjoints ou enfants des personnels.
Les élèves fragiles ou qui ont dans leur entourage une personne fragile doivent rester confinés.
– Là encore, il est nécessaire de faire connaître aux familles les risques et les affections qui peuvent être facteurs de fragilités. C’est un travail considérable. Et là encore, comment sera préservé le secret médical ?
– La question se posera largement en dehors de l’Education nationale : comment venir travailler si une journée sur deux nos propres enfants sont à la maison ?
Pour respecter les règles de distanciation sociale, les effectifs d’élèves doivent être limités.
– Le président de la République semble vouloir laisser le choix aux parents, ce qui nous semble incohérent. C’est aux autorités de déterminer sur des bases solides qui est menacé, pas des individus qui n’ont pas obligatoirement, loin de là, la culture médicale nécessaire. Cela risque d’accentuer les inégalités scolaires et sociales déjà bien accentuées. Cela va aussi considérablement compliquer l’organisation de l’enseignement, de la restauration, des transports … Et à un moment, même si l’épidémie continue de sévir, il faudra bien que l’école redevienne obligatoire pour tous.
– Si les salles accueillent environ 15 élèves, il faudra certainement matérialiser les espaces personnels de chacun.
– Si, comme le propose notre ministre, les élèves qui ne seraient pas avec les professeurs seraient accueillis dans d’autres locaux, où trouver ces derniers ? Et quel personnel s’occupera des élèves ?
– Comment se fera le transport scolaire ? Il ne faut évidemment pas que la distanciation sociale au collège se double d’une proximité à quelques centimètres dans les transports scolaires ou publics.
– Les couloirs sont des lieux de circulation intense. L’entrée dans l’établissement et en classe ne peuvent pas être comme d’habitude. Les récréations devront être adaptées. Pareil pour la demi-pension, les internats et la sortie. Il faudra limiter le plus possible ces circulations et les possibilités de croisements. Les horaires décalés semblent la solution la plus simple.
– Il semble que les systèmes de ventilation jouent un rôle de diffusion du virus dans les espaces confinés. Il est nécessaire de laisser la possibilité d’ouvrir en grand les fenêtres des locaux, ce qui en général n’est pas possible aujourd’hui (verrous de sécurité).
– Les enfants de certains personnels doivent être priorisés, comme les soignants (c’est déjà le cas) et les enseignants (cela va devenir nécessaire).
S’organiser localement
– Comme pour le confinement, il faut faire confiance aux équipes. Il est prévu pour la première vague de déconfinement (Grandes sections, CP et CM2) une seule journée de « pré-rentrée ». C’est insuffisant. On peut imaginer que dans le secondaire on disposera de plus de temps. Il faudra cependant que la hiérarchie laisse les mains libres aux collègues qui auront à assumer directement l’organisation de l’établissement scolaire.
– On apprend en marchant. Certaines solutions se révèleront sans doute inopérantes ou intenables, d’autres émergeront. Il faut laisser aux équipes la possibilité de faire évoluer les cadres mis en place.
– Il faudra rapidement que les consignes de sécurité soient incluses dans le document unique de prévention (DUER), par le directeur ou le chef d’établissement certes, mais à partir des décisions prises par les équipes.
Adapter les exigences scolaires
– Les contraintes sanitaires, la protection des personnels et des élèves risquent d’amener le système à un fonctionnement hybride mêlant enseignement à distance et enseignement en présentiel. L’enseignement à distance occasionne une intensité de travail toute particulière et creuse les inégalités scolaires, comme la période que nous vivons vient de le montrer. Il sera très difficile pour les enseignants de continuer à suivre leurs élèves à distance tout en travaillant en présentiel. Que proposez-vous pour empêcher que cette situation n’entraîne un surcroit de travail pour les personnels que nous représentons ?
– Comme déjà évoqué, on ne pourra pas avancer en classe au même rythme avec des groupes de 15 élèves qui se succèderont, avec encore des élèves qui resteront chez eux pour des raisons sanitaires. Les programmes ne pourront plus être durant les mois qui arrivent un horizon atteignable. L’entrée pourra être celle des compétences.
– L’organisation d’un oral de Français pour le bac dont personne ne comprend l’intérêt dans la situation actuelle, et qui va rajouter à des difficultés d’organisation qui s’annoncent déjà très importante, ne nous semble pas une bonne idée.
La lettre envoyée à la rectrice.
En complément :
les personnes considérées comme fragiles
Note du conseil scientifique sur les conditions de rentrée dans les établissements scolaires.