Une fois les invectives médiatiques ou la mauvaise foi passées, une fois abandonnée la quasi obligation de se poster dans un camp, d’être « pour » ou « contre », et donc une fois la contrainte de mettre de côté une analyse un peu objective derrière nous, il est possible de tirer un premier bilan d’étape de cette réforme. D’une part où en est le processus, qu’est-ce qui a été acté et qu’est-ce qui est prévu pour l’avenir ? D’autre part, plus largement, l’influence des évènements de ces deux derniers mois sur l’évolution du système éducatif, à travers deux acteurs institutionnels essentiels : le politique et le syndical.
Le point d’étape sur la réforme
Le « passage en force » du gouvernement au lendemain de la grève du 19 mai est pour le moins maladroit. Il est un mauvais signe donné par un ministère qui se dit à l’écoute des enseignants. Il est cependant à relativiser car le texte avait été voté au CSE le 10 avril à une large majorité et il aurait dû normalement être publié plus tôt : il est probable que le retard soit lié à la volonté d’éviter le reproche d’un mépris envers une profession qui était appelé à la grève. Attendre quelques jours de plus n’aurait cependant pas coûté plus cher !
La publication correspond à deux textes : un décret et un arrêté. Le premier est important d’un point de vue réglementaire mais il est très court et donne peu d’informations. Il est analysé ici. L’arrêté est lui plus conséquent. Il est détaillé ici.
Cependant, ce sont bien les textes d’application qui définiront dans le détail les cadres et les moyens donnés par l’institution. Ils peuvent aller dans le bon comme dans le mauvais sens. C’est pourquoi le SGEN a d’ores et déjà adressé une liste de revendications à la ministre.
Les programmes sont indissociables de la réforme. La consultation reste ouverte jusqu’au 12 juin sur ce lien.
A plus long terme, si cette réforme s’applique, il va d’abord falloir dans les établissements que l’ensemble des collègues s’approprient le contenu des textes. Cela nécessite de tordre le cou à certaines idées fausses (de nombreux liens ici, en attendant des publications plus précises qui arriveront bientôt). Cela nécessite aussi des textes d’application et des moyens qui donnent la possibilité de réellement changer les choses. Cela nécessite enfin une formation et une réflexion dans les équipes, car pour beaucoup de collègues, ce qui est proposé dans la réforme correspond à de nouvelles pratiques. Il existe cependant des ressources facilement accessibles (par exemple, le dernier numéro des Cahiers pédagogiques).
Enfin, les décisions devront se construire collectivement. Si on veut que ce soit l’équipe et non pas le chef d’établissement seul qui décide, il faudra être capable de s’impliquer dans des choix collectifs. Cela nécessite du temps pour la concertation (d’autant plus qu’il y aussi les IMP et les nouveaux programmes) mais aussi la volonté de chacun d’aboutir à un consensus. Ce n’est pas encore le mode de fonctionnement du monde enseignant dans le Second degré, et sans doute s’agira-t-il ici du chantier le plus compliqué.
Bilan : mise en perspective historique
On retrouve, comme dans tout débat sur l’Ecole, les figures de style qui reviennent à chaque mouvement de contestation : opposition entre « pédagogistes » et « élitistes », « nivellement par le bas », liaison entre autonomie des établissements et néo-libéralisme.
Il est plus intéressant de remettre en perspective cette réforme dans le cadre de loi Peillon sur la Refondation de l’Ecole votée en 2012, dans celle du combat pour le Socle commun ainsi que dans la prise de conscience déjà ancienne de l’inégalité du système scolaire actuel.
Bilan : mise en perspective politique
Ce qui est nouveau, c’est que les forces politiques se sont clivées comme jamais sur le sujet de l’Ecole. Alors que jusque-là les débats sur l’Ecole ne recoupaient pas complètement les différents partis, on a eu à droite et à l’extrême-droite la mise en avant d’un modèle assez inquiétant : il s’agit de recommencer la sélection le plus tôt possible, dès la sixième, alors que l’on sait que ce fonctionnement favorise largement la reproduction sociale, en opposition évidente à la promesse d’égalité républicaine. Certes, on trouvait cette tendance dans quelques décisions prises sous Nicolas Sarkozy (comme les classes de pré-apprentissage), mais celle-ci ne concernaient qu’un public très limité, alors que les propositions faites maintenant concerneraient l’ensemble du collège.
Il est à espérer que ces propos ne soient que des rodomontades électoralistes vite oubliées (il y a lutte au sein de la droite pour les primaires), car sinon il y aura fort à craindre si la droite revient au pouvoir en 2017 !
Bilan : mise en perspective syndicale
Le SNALC a copié l’exemple de FO sur le statut des enseignants. Il s’est engagé dans une posture très activiste, jusqu’à la caricature. Il continue actuellement, avec sa proposition jusqu’au boutiste de boycott du Brevet, à vouloir garder l’image du principal opposant à la réforme du collège. Les dernières élections professionnelles ont montré qu’un tel positionnement était rentable en termes d’audience.
Le SNALC profite aussi du fait que le SNES fait face à des divisions internes, entre ceux qui veulent une réforme du collège, et ceux qui ne veulent pas laisser la contestation à d’autres. Même si ce sont les seconds qui pour l’instant sont aux commandes, le SNES reste relativement modéré, sur une ligne plutôt indécise : « il faut rediscuter ce qui a déjà été discuté ».
Les syndicats réformistes, SGEN et UNSA, se trouvent rejetés à cause d’un débat binaire « pour » ou « contre » dans une défense d’un projet qui est loin de les satisfaire complètement.
La grève du 19 mai n’a pas été le raz-de-marée attendu, mais il s’agit tout de même d’une mobilisation importante qui montre une réelle inquiétude de la part de la profession. Les doutes sur la réalité de l’autonomie des équipes (et non pas celle du chef d’établissement), qui passe entre autres par l’obtention d’un temps de concertation, la réalité de la mise en place des EPI et de l’AP, ainsi que celle de la formation, sont largement partagés par des gens qui ont fait grève ou pas le 19. La caricature et la nécessité même d’une position binaire (on fait grève ou on ne fait pas grève) amènent à un apparent positionnement « pour » ou « contre » alors que peu de gens sont complètement contre et tout aussi peu complètement pour.
La grève du 11 juin qui vient d’être annoncée ne sera sans doute pas particulièrement suivie : annoncée avec un court délai, elle n’offre pas plus de perspectives que celle du 19 mai. Surtout après la publication des textes. Il s’agit sans doute plus de tenter de garder unie une intersyndicale tout en excluant le SNALC (qui n’est pas associé).
L’essentiel de la négociation maintenant va sans doute résider dans les discussions sur les textes d’application. C’est là que se jouera la réussite ou non de cette réforme.