Différents éléments de cette rentrée montrent que nous allons être confrontés à des évolutions majeures dans l’enseignement professionnel. En particulier, les années qui viennent vont être sans doute marquées par des changements importants au niveau de la carte des formations.
Une première grande évolution est la création d’une DAFPIC (délégation académique à la formation professionnelle initiale et continue) au niveau régional, suite à la fusion des régions Basse et Haute Normandie et à la création de régions académiques. La nouvelle structure sera en charge d’impulser, de développer et de valoriser tout ce qui concerne la formation professionnelle, d’apporter son expertise et d’évaluer ou de contrôler les dispositifs de formation sur un territoire regroupant les académies de Caen et de Rouen. Elle sera l’interlocutrice privilégiée du conseil régional, dont l’objectif annoncé par son président est d’augmenter considérablement le nombre d’apprentis d’ici la fin de son mandat (50 % de plus). (voir ici)
Dans ce contexte, les deux académies mettent en avant la poursuite de la mise en place de réseaux d’établissement de formation, dont une des missions principales est de préparer la carte des formations initiales. Le découpage des réseaux se fera aussi au niveau de la nouvelle région (et non par académie), par 10 thèmes de formation en fonction des spécialités.[1] On peut s’étonner de la taille prévue de certains réseaux (n’oublions pas que nous sommes au niveau régional et non académique) allant jusqu’à 141 établissements et environ 20 000 élèves. Les décisions se feront en consultant les bassins. Leur efficacité reste cependant à prouver.
Des lycées des métiers à tout prix ?
La labellisation lycées des métiers est cohérente avec les objectifs annoncés ci-dessus. L’objectif des réseaux est de « conduire » les établissements à réfléchir sur leur offre de formation pour rentrer dans le cadre de la labellisation ou revoir leur label (et donc le faire évoluer). Nous sommes à ce propos en plein renouvellement de label pour de nombreux établissements. La labellisation n’est en rien problématique pour des lycées réellement spécialisés et elle contribue à renforcer l’image d’un lycée. Pour les autres, quand cela ressemble à l’acharnement d’un enfant à faire rentrer un cube dans une forme en triangle à coups de marteau en plastique, c’est plutôt critiquable. Il vaudrait mieux ne rien choisir plutôt qu’un label qui ressemblerait, si nous étions dans le secteur de la restauration, à « moules, cassoulet et kebab ». Ou, au contraire, choisir un label qui ne concernerait qu’une spécialité, certes spécifique à l’établissement, mais qui serait quelque peu trompeur pour le public… Tout en se disant que si des spécialités variées sont toujours attractives dans des établissements, c’est qu’elles sont encore nécessaires sur la carte des formations ! Car le label ne doit pas servir à supprimer d’autres spécialités pour simplement créer une identité.
Le piège de la mixité des publics
L’un des critères de labellisation annoncés par le rectorat est la mixité des publics et la mixité des parcours, sous prétexte que l’un des critères nationaux est « l’accueil de publics de statuts différents ». Il faudra être très vigilant quant à ce que recouvre cette notion et se méfier des glissements sémantiques car diversité et mixité sont des concepts complètement différents. La diversité des parcours et des statuts au sein d’un établissement n’est pas un problème en soi : accueillir des formations continues à côté de formations initiales est même positif, car cela permet de développer l’offre de formation et parfois d’améliorer l’image d’un lycée professionnel. La mixité des publics au sein des mêmes classes est par contre problématique, car d’un point de vue pratique, peu de solutions pédagogiques sont proposées pour gérer cette mixité, même si elles ne sont pas inexistantes. Cela accroît de toute façon lourdement le travail de préparation puisque ces élèves ne peuvent pas suivre les séquences au même rythme, n’étant pas présents sur les mêmes périodes dans l’établissement. Le suivi des stages est également alourdi par la nécessité de suivre aussi les élèves en alternance, voire de leur faire cours pendant ces stages (n’oublions pas que les visites de stage en formation initiale sont permises par l’absence des élèves en cours). Si ces pratiques sont parfois motivées par le fait de ne pas fermer des sections et de préserver des postes, il ne faudrait pas que cela se fasse contre l’avis du personnel et de sa santé.
La DAFPIC a d’ailleurs pour objectif de développer l’apprentissage en établissement public. La création récente d’un CFA académique en est peut-être un signe. Il est donc impératif pour les personnels en lycée professionnel de suivre de près ce qui se passe dans les CFA publics. Récemment, le CA de Pierre et Marie Curie, dont le proviseur chapeaute le CFA académique, a par exemple voté l’harmonisation des rémunérations d’activités hors enseignement (les pratiques différaient selon les CFA départementaux), après avoir harmonisé les taux horaires. Malgré ces avancées, le fonctionnement des CFA publics reste assez opaque pour la plupart des collègues.
Une carte des formations revue pour l’apprentissage
Pour finir, à long terme, la baisse importante des effectifs du primaire dans le rectorat de Caen et à plus court terme, des effectifs au collège, annonce de toute façon des évolutions importantes de la carte des formations. (voir ici) Quand le comité régional académique met en avant que cela se passera dans un contexte d’augmentation de l’offre de formations d’apprentissage, ce n’est pas pour rien. N’oublions pas surtout que les rentrées prochaines seront gérées vraisemblablement par un gouvernement de droite, dont les objectifs principaux pour l’enseignement seront la réduction des effectifs de l’éducation nationale et aussi un développement à marche forcée de l’apprentissage. (voir ici)
Mais nous ne pourrons pas réformer la voie professionnelle si les décisions se font sans associer le personnel de manière forte et limpide, et encore moins si les décisions se font à l’encontre du personnel (suppressions de postes, précarisation du statut) et de la santé au travail. Il ne faudrait pas non plus oublier que les personnels des lycées professionnels tiennent à préserver la formation initiale pour laquelle ils ont été recrutés à la base, c’est-à-dire la vision humaniste d’un jeune qui, avec une formation professionnelle lui permettant de trouver un travail à court terme, reçoit aussi un enseignement général solide pour devenir un citoyen éclairé.
Stéphane Hardel
[1] Commerce et vente/service aux entreprises ; construction-travaux publics et écoconception ; énergie et systèmes numériques ; maintenance et conduite de systèmes ; matière et procédés de transformation ; métiers d’art, mode, design et industries connexes ; sanitaire et social et service aux personnes ; tourisme, hôtellerie, restauration et alimentation ; chimie ; agroalimentaire.