Nous avons eu l’occasion de consulter un certain nombre de documents rectoraux concernant la mixité liée à l’apprentissage au sein de notre académie. Tout d’abord, il ne faut pas oublier que le concept de mixité est polysémique : il peut concerner pour notre sujet la mixité des parcours ou la mixité des publics, et cela recouvre des réalités différentes selon les académies, voire les établissements.
La mixité des parcours ne pose pas de problème particulier. Le SGEN-CFDT y est favorable. Il s’agit de juxtaposer au parcours scolaire normal une ou deux année(s) en alternance au cours du cycle. Par exemple, un CAP avec un an en parcours scolaire classique et un an en alternance. Elle concerne essentiellement les CAP dans notre académie.
La mixité des publics consiste à mélanger des publics différents au sein de la même classe : élèves de CFA en alternance et/ou élèves adultes de GRETA en formation continue et élèves sous statut scolaire. Cet aspect de la mixité pose problème et c’est pourquoi le SGEN-CFDT demande une évaluation nationale avant toute généralisation.
Le rectorat de Caen et le CFA académique préfèrent l’expression mixité des statuts, car dans l’académie, comme il s’agit de mixer des élèves en formation initiale, sous statut scolaire ou sous statut d’apprenti, le public visé est donc le même, en particulier au niveau de l’âge et du diplôme visé. Dans notre académie, cette mixité des statuts concerne essentiellement les filières bac pro et BTS.
Le rectorat voit dans la mixité des statuts la possibilité de diversifier l’offre pour répondre aux besoins des entreprises et aux demandes des familles, mais aussi de maintenir des filières, qui faute d’effectifs suffisants en statut classique, risqueraient de fermer. Il prétend aussi que cette mixité apporte au niveau pédagogique une plus grande richesse et une émulation entre élèves, ce qui reste à prouver. Les expériences personnelles sont divergentes de ce point de vue et c’est pourquoi il faudrait une évaluation impartiale.
Cette forme de mixité impacte en effet le rythme scolaire, l’emploi du temps et même le salaire des enseignants, puisque l’enseignement des apprentis pour la part CFA est payé sous la forme d’un ratio annualisé. Ce fonctionnement est particulier à l’académie de Caen car les autres académies préfèrent fonctionner avec des vacations. Même complété par un certain nombre d’indemnités, il semblerait que ce système pose problème aux collègues, en particulier en BTS où il génère des inégalités. Voir ici
En ce qui concerne l’emploi du temps, il existe deux façons globales de le mettre en place, qui doivent prendre en compte l’alternance des apprentis, partis en entreprise la moitié de l’année, alors que les élèves sous statut classique ont des PFMP (périodes de formation en entreprise) qui ne durent que quelques semaines :
- Soit les apprentis partent en entreprise aux moments où les élèves sous statut scolaire sont en PFMP. Dans ce cas, il y a une alternance de semaines où les élèves sont ensemble et où les élèves sous statut scolaire sont seuls. Cela exige aussi de rattraper des heures avec le groupe apprentis quand ils sont présents.
- Soit à l’inverse, les apprentis viennent en cours pendant que les autres partent en PFMP. Le dispositif est alors plus compliqué, puisqu’il y a alternance de trois types de semaines : où les apprentis sont seuls, où les élèves sous statut scolaire sont seuls, et où les deux publics sont regroupés. Tout en rattrapant en plus des heures pour les apprentis sur les deux types de semaines où ils sont présents.
Le rythme d’alternance entre entreprise et école peut se faire de trois manières : soit court (une semaine), soit intermédiaire (deux semaines), soit long (un mois). Plus l’élève part longtemps, plus la reprise est difficile et plus la rupture entre les deux types de publics se creuse. C’est pourquoi la préférence du rectorat va aux rythmes court et intermédiaire. Dans l’hypothèse où les apprentis partent pendant les PFMP, si elles sont longues, en jouant sur ces différents facteurs et sur les vacances, on peut presque parvenir à ajuster les périodes de présence des deux publics.
L’administration a alors trois choix pour l’emploi du temps : soit différencier un emploi du temps élèves « classiques » et un emploi du temps apprentis, soit le choix d’alterner des semaines A et B en fonction de la présence des apprentis, soit un emploi du temps renforcé en matière professionnelle et un autre renforcé en matières générales qui alternent selon la présence des élèves en statut scolaire ou apprenti.
S’il est logique que les apprentis fassent moins d’heures de matières professionnelles, nous ne pouvons qu’être dubitatifs envers certains mécanismes d’ajustement comme reverser des heures de projet et d’accompagnement personnalisé sur les enseignements généraux, ce qui ampute les programmes officiels. Cependant, il est effectivement important de ne pas négliger des matières qui dispensent la culture générale essentielle pour la formation non seulement d’un élève, mais aussi d’un citoyen averti. Plus douteux est la recommandation de payer les heures de rattrapage pour les apprentis en vacations et non en heures gagées. Surtout si elles sont plus ou moins imposées par la hiérarchie comme nous l’ont fait remarquer des collègues.
Le plus compliqué reste évidemment l’organisation pédagogique de l’année par rapport à ces dispositifs. Le moins que l’on puisse dire est que les retours sont mitigés. Les collègues sont très partagés : si certains arrivent à s’adapter, beaucoup se plaignent de la complexité des progressions à mettre en place.
Le problème n’est donc pas que les lycées professionnels acceptent différents types de statuts : c’est même souhaitable, pour développer notre offre et éviter d’être mis à mal par la concurrence des CFA privés. Le problème est lié au mélange de ces élèves au sein des mêmes classes : il faut une véritable évaluation de ces dispositifs aux niveau régional et national, qui ne soit pas seulement effectuée par l’administration, pour être impartiale. Il ne faut jamais oublier qu’ajouter de la complexité signifie ajouter du stress au travail et du malaise si le collègue se sent dépassé. Les différentes études, y compris la nôtre, prouvent que la santé morale et la fatigue des collègues sont déjà très dégradées : notre administration doit absolument le comprendre.