S’il était certes nécessaire d’opposer notre voix au Front National lors du second tour de l’élection présidentielle, tant nos valeurs étaient opposées à celles de sa candidate Marine Le Pen, l’appel à voter pour son adversaire, Emmanuel Macron, n’a jamais été et ne sera jamais un blanc-seing. Le nouveau président disait l’avoir compris au soir de son élection, mais refusait dans le même temps le moindre compromis sur son programme, ce qui contredit son image d’homme d’ouverture. L’ouverture vers qui, vers quoi d’ailleurs ? Nous avions déjà évoqué les interrogations que suscitait son programme pour l’éducation : à part pour le premier degré, sur beaucoup de points, il offrait de grandes similarités avec celui de F. Fillon sur l’autonomie des établissements, la généralisation de l’alternance et la régionalisation de l’enseignement professionnel. Voir ici et ici

Le profil du nouveau ministre de l’Education, Jean-Michel Blanquer, confirme cette analyse et suscite deux constats de notre part. Le premier étant que, s’il est inconnu du grand public, il ne l’est pas pour nous et n’a absolument rien d’un homme neuf. Sous Nicolas Sarkozy, entre 2009 et 2012, il a été directeur de l’enseignement scolaire, c’est-à-dire n°2 du ministère. Cette partie de son CV n’est vraiment pas de bon augure : il s’agit de la période où l’Education Nationale a connu les réformes libérales les plus radicales et les moins bienveillantes à l’égard des personnels, où le dialogue social a été réduit à sa plus simple expression, où les suppressions de postes ont été massives (80 000 postes), où l’école maternelle et primaire a été attaquée comme jamais auparavant (on se souvient de la scandaleuse suppression massive de postes dans les réseaux d’aides spécialisées aux élèves en difficulté), où les professeurs stagiaires se sont retrouvés catapultés de façon hallucinante sans formation pour 18h devant des classes, où on a privilégié les économies et l’idéologie libérale à la qualité d’enseignement, au bien-être des personnels et à la réussite de tous les élèves, sous prétexte de « réformes ». Hélas, en général, même avec un désodorisant « en marche », il est difficile de faire disparaître certaines effluves.

Par exemple on se souvient en 2012 de la fusion des bacs pro secrétariat et comptabilité en une filière gestion-administration (GA) qui a abouti aussi à une cascade de suppressions de postes et de mutations sur carte scolaire. Dans notre académie, nous avons vu des collègues spécialistes de ces filières, proches de la retraite, perdre leurs postes du jour au lendemain, sans autre espoir que de devoir se reconvertir dans des domaines complètement éloignés du leur. Des « réformes » où la haute administration a oublié que, derrière les chiffres et l’obsession de l’évaluation, il y a des êtres humains. Un défaut bien connu du management à la France Télécom d’une certaine technocratie.

Le second constat est en rapport avec le goût du ministre pour les expérimentations plus ou moins heureuses, qu’il a pu lancer dans le passé en tant que recteur de l’académie de Créteil ou n°2 du ministère, comme le cartable numérique, les internats d’excellence (supprimés en 2012 et tombés dans les oubliettes), ou en souhaitant récompenser les élèves de LP assidus par une « cagnotte » pour des projets (ne vaut-il pas mieux combattre l’orientation par l’échec pour éviter l’absentéisme ?). Vouloir innover n’est pas un défaut, au contraire, si les personnels sont consultés et écoutés, en particulier si des difficultés ou des interrogations surgissent. Vouloir s’abriter derrière des chiffres et des études « scientifiques » qui se veulent objectives, et que personne ne « peut » donc remettre en cause, est inquiétant. Nous serions curieux de connaître les raisons scientifiques qui justifient de priver les bacheliers professionnels de pouvoir suivre des études supérieures comme les autres élèves. Parce que beaucoup échouent? Et ceux qui réussissent ou pourraient réussir, tant pis pour eux?

Remarquons que l’essentiel de ce que le ministre présente comme innovations dans son livre L’école de demain ressemble trait pour trait aux promesses principales d’Emmanuel Macron sur l’éducation, en particulier l’autonomie des établissements (y compris celle pour les proviseurs de recruter les professeurs, et de gérer la dotation horaire, donc de décider des pratiques pédagogiques), la volonté d’évaluer les établissements et les personnels sur leur compétitivité, la régionalisation de l’enseignement professionnel. Nous avons déjà expliqué notre désaccord envers ces réformes dont le contenu libéral très anglo-saxon est dangereux et contraire à notre vision de la démocratie sociale et du service public, qui doit préserver l’égalité sur tous les territoires de la République. Le choix de M. Blanquer ne semble pas à ce titre une erreur de casting.

Le tout est adoubé par l’institut Montaigne, un think tank très libéral proche du MEDEF, financé par des entreprises du CAC 40, fondé par Claude Bébéar, l’homme d’affaires bien connu qui soutient lui-même… Emmanuel Macron (on est vraiment entre amis). Ces humanistes autoproclamés militent par exemple pour l’augmentation du temps de travail des fonctionnaires sans gain de salaire, notamment celui des enseignants qui serait annualisé, permettant des suppressions de postes pour réduire les dépenses publiques – une obsession libérale vieille comme Thatcher, qui apparemment a survécu à son décès et continue, en bon zombie, de faire des carnages… (n’oublions pas qu’Emmanuel Macron veut supprimer 120 000 postes de fonctionnaires, même si l’éducation n’est pas a priori dans le viseur) Or que retrouve-t-on dans le livre de notre ministre ? L’annualisation du temps de travail des enseignants… (qu’Emmanuel Macron s’est bien gardé d’évoquer… en tout cas pour l’instant !)

Il ne s’agit pas évidemment de faire un procès d’intention au nouveau ministre (ni au nouveau président par la même occasion), malheureusement ni son passé, ni son réseau libéral, ni son programme ne plaident en sa faveur, et c’est un euphémisme. Certaines de ses propositions pour le primaire semblent intéressantes, mais la grande majorité des axes qu’il développe nous semble complètement à rebours des avancées obtenues depuis 2012. Nous serons donc extrêmement vigilants, néanmoins ouverts au dialogue, tout en restant fidèle à nos valeurs et au respect du bien-être et de l’intérêt des personnels et des élèves sur lesquels nous ne transigerons jamais. Cela dit, un des avantages de partir avec une marge de confiance proche de zéro, c’est qu’on ne peut que progresser ! Ou pas.

Stéphane Hardel